Un réseau de câbles à 20 000 lieues sous les mers
Cette note de blog proposée par Ysam Soualhi est un compte-rendu de la conférence de Thomas Ferreyrolles, dir. adjoint du service juridique de Alcaltel Submarine Networks, portant sur « L’environnement juridique de la pose des câbles sous-marin ». Cette conférence s’est tenue le jeudi 27 février 2020 à l’Université Paris Nanterre (CEDIN).
Les câbles sous-marins : « infrastructures vitales » pour les États
Les câbles sous-marins installés au fond des océans constituent des éléments clés de la mondialisation. Contrairement à la croyance partagée selon laquelle nos communications sont rendues possibles par les satellites, c’est en vérité par le biais des câbles sous-marins que transitent près de 95% des données de communication. Ils sont en conséquence un support technique essentiel au développement économique des États. Par ailleurs, en cas de conflit armé, ces câbles sont susceptibles de constituer des cibles militaires de premier ordre : couper les câbles sous-marins reliant un État au réseau des télécommunications internationales reviendrait en effet à l’isoler presque totalement du reste du monde. En somme, l’intérêt stratégique de ces câbles fait de ces derniers des « infrastructures vitales » pour les États. Pour autant, les câbles sous-marins et les enjeux qui les entourent sont assez méconnus des populations.
Cette méconnaissance interroge eu égard à l’ancienneté de l’installation des premiers câbles sous-marins. Alors que le navire Sirius terminait tout juste la première traversée de l’Atlantique à vapeur en 1848, le scientifique américain Samuel F. B. Morse pensait déjà à relier les deux continents par le biais de câbles. La première installation d’un câble entre l’Angleterre et la France remonte à 1851. La pose d’un câble sous-marin reliant le continent européen et l’Amérique du Nord en 1857 constitue une autre avancée technique importante faisant entrer la période dans l’une « des très riches heures de l’humanité » selon l’ouvrage éponyme de Stefan Zweig. L’accroissement de la pose de câbles, avec près de 450 câbles d’une longueur totale de 800 000 kilomètres aujourd’hui, devrait encore s’intensifier à l’avenir selon Thomas Ferreyrolles.
Quelques éléments concernant l’encadrement juridique de l’activité câblière
L’environnement juridique de l’activité câblière est organisé par le tryptique droit international, droit national et droit contractuel. Concernant le droit international, la Convention internationale relative à la protection des câbles sous-marins fut signée par une quinzaine d’États dès 1884. Cette Convention initia le processus coutumier ayant permis d’instaurer un principe de liberté de pose des câbles sous-marins par les États en haute mer. Ce principe fut repris à l’article 2 de la Convention sur la haute mer de 1958 puis à l’article 87 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM). En ce qui concerne la ZEE (zone économique exclusive), la CNUDM prévoit la même liberté à son article 58, de manière toutefois plus encadrée puisque les Etats doivent tenir compte des droits et des obligations de l’Etat côtier et respecter les lois et règlements adoptés par celui-ci conformément aux dispositions de la Convention. Pour autant, ces câbles doivent nécessairement être reliés au continent par le biais de stations d’arrivée sur les littoraux. Dès lors qu’ils traversent logiquement les eaux territoriales des États côtiers, leur raccordement aux réseaux terrestres exige leur consentement.
Les entreprises sont à l’initiative des demandes d’autorisations relatives à la pose de câbles dans des eaux souveraines. D’un côté, l’activité câblière demeure ainsi l’apanage exclusif d’un nombre restreint de multinationales. Les géants du marché sont la société américaine SubCom, le japonais NEC Corp. ou la société européenne Alcatel Submarine Networks. Le géant chinois Huawei a, quant à lui, quelques difficultés à accéder à certains marchés dans la mesure où ses liens avec le gouvernement chinois peuvent apparaître problématiques pour certains Etats tels que l’Australie ou les États-Unis, par exemple. Le Gouvernement australien s’est donc opposé à l’installation de câbles dans le Pacifique par l’entreprise chinoise. D’un autre côté, les « GAFA » (pour Google, Amazone, Facebook, Apple) s’intéressent également à ce type de marchés mais en tant que clientes. Elles souhaitent devenir propriétaires de ces structures ou acheter de la capacité auprès de fournisseurs pour permettre le transit d’informations inhérentes à leurs activités par le biais des câbles.
L’obtention d’une autorisation d’installation de câbles dans les eaux souveraines des États peut s’avérer laborieuse. La permission de poser des câbles est régie par le droit national. Or, certains États conditionnent cette autorisation à l’acquisition d’une dizaine de permis, comme c’est le cas pour les États-Unis. D’autres États dont l’Indonésie admettent des câbles dans leurs eaux souveraines à la condition que l’activité de pose soit menée par un navire battant pavillon indonésien. Cette difficulté s’avère difficile à surmonter lorsqu’il n’existe pas d’entreprise nationale en mesure d’effectuer la tâche. Toutefois, l’absence de route alternative pour le tracé du câble, en même temps que le business florissant de l’activité, favorisent l’accommodation des entreprises à ces mesures jugées parfois excessivement contraignantes par Thomas Ferreyrolles.
Pour relier deux territoires, les câbles transitent en haute mer, sur des plateaux continentaux et dans des ZEE. Dans ces zones, l’activité câblière n’est pas conditionnée à l’autorisation de l’État côtier. Les droits nationaux doivent seulement permettre d’engager des poursuites contre les individus responsables d’atteintes volontaires ou de négligence coupable causant la rupture ou la détérioration d’un câble, conformément à l’article 113 de la CNUDM. Concernant l’activité de pose de câbles en elle-même, la CNUDM prévoit seulement des règles générales relatives au respect du milieu marin et des autres activités dans la conduite d’une activité câblière.
Enfin, le cadre contractuel vient régir la relation entre les entreprises installant les câbles d’une part, et les acheteurs de ces infrastructures (entreprises privées ou publiques, agissant seules ou en consortium) d’autre part. Les contrats encadrent surtout la pose du câble – et les éventuelles pénalités de retard associées –, l’entretien du câble après son installation, et la procédure relative au règlement d’un différend. Concernant ce dernier aspect, l’arbitrage est privilégié bien que la majorité des différends survenus soit dans les faits résolue en amont.
Les atteintes potentielles au milieu marin consécutives à la pose de câbles
Au cours de cette conférence, Thomas Ferreyrolles a également été interrogé sur la question des possibles atteintes environnementales causées par l’activité câblière. L’installation d’un câble au fond de la mer peut nécessiter par elle-même un « ensouillage », c’est-à-dire l’enfouissement du câble dans le fond marin. Cela va parfois jusqu’au creusement de véritables tranchées. C’est l’une des premières atteintes au milieu marin que peut causer la pose d’un câble. Une fois installé, l’atteinte au milieu marin par la seule présence du câble est discutée. Ces interrogations sont d’ailleurs au cœur des négociations sur la biodiversité maritime des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ). Les câbles sous-marins ont également une durée de vie de plus ou moins 25 ans. Par conséquent, la question du retrait des câbles présents au fond des océans se pose. À cet égard, le droit international ne prévoit pas clairement d’obligation de retirer les câbles, tandis que l’action des États et entreprises en la matière fait encore l’objet de discussions.
Un certain nombre de questions n’ont pas pu être abordées par Thomas Ferreyrolles, comme celle de la saturation des détroits par ces câbles, qui interroge le développement futur de l’activité câblière, ou encore celle de la vulnérabilité des câbles aux atteintes par des groupes terroristes ou des pirates. En exposant les principaux enjeux juridiques suscités par l’activité câblière, cette conférence a tout de même permis à ses auditeurs de ne plus être à mille lieues des problématiques posées par les câbles sous-marins.