Compte-rendu du colloque « Les tensions maritimes en Méditerranée : perspectives juridiques et stratégiques »
29 novembre 2019, faculté de droit de Toulon, par Ysam Soualhi
Dans un contexte de recrudescence des tensions en Méditerranée, un colloque sur les tensions maritimes en Méditerranée était organisé le 29 novembre 2019 à Toulon. Le colloque organisé conjointement par l’Université de Toulon et la Marine nationale mêlait une double appréhension, juridique et stratégique, sous les regards croisés d’universitaires et de marins.
Le propos introductif du Préfet maritime et commandant de la zone maritime Méditerranée, Laurent Isnard, a consisté en une mise en perspective des enjeux particuliers de la Mer Méditerranée. Mer quasi-fermée mais très fréquentée, la Méditerranée est sujette à de nombreuses tensions. Certaines d’entre elles découlent de facteurs endogènes à la Méditerranée, comme la course à l’exploitation de ressources minérales au large de Chypre ; d’autres résultent de l’importation de crises extérieures, comme l’illustre l’arraisonnement d’un navire iranien, soupçonné d’approvisionner la Syrie en hydrocarbures, par les forces britanniques.
C’est d’ailleurs la situation en Méditerranée orientale, zone privilégiée des tensions, qui était discutée lors de la matinée.
La question traitée par Pascal Ausseur, Directeur général de la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques, était d’abord celle de l’appropriation des ressources à travers l’exemple chypriote. La République de Chypre et la Turquie, affirmant agir au nom et pour le compte de la République Turque de Chypre-Nord (RTCN), font preuve aujourd’hui de prétentions concurrentes. Si certains envisageaient la fin de leurs querelles au début des années 2000, les tensions sont aujourd’hui importantes. Cela s’explique notamment par le désintéressement américain de la Méditerranée – les USA jouant auparavant un rôle de stabilisateur dans la région – et l’adoption d’une politique ouvertement hégémonique de la Turquie ces dernières années. La découverte de ressources dans la région a peut-être entretenu où raviser ces tensions. Il est tout de même possible d’espérer que ces ressources soient la clé du problème puisque les acteurs économiques n’investiront pas dans l’exploitation de ces ressources sans gage de stabilité.
Frédéric Schneider, Maître de conférences à l’Université de Toulon a ensuite abordé la situation du Bosphore et des Dardanelles autour du contrôle de la mer Noire et de la mer d’Azov comme autre enjeu de la Méditerranée orientale. La question ici était celle de la liberté de navigation et du régime particulier du détroit de Kertch.
Les marines nationales ont un rôle important eu égard à ces crises comme l’a expliqué peu après le vice-amiral Olivier Lebas. Par la coopération et le déploiement de la marine, les États peuvent peut-être lutter contre la politique du fait accompli menée par certains États et consolider tant les libertés en mer que les relations amicales entre les États.
L’après-midi a laissé place à des interventions portant sur la Méditerranée occidentale.
Les difficultés sont ici davantage de l’ordre de la délimitation maritime plus ou moins indépendantes de la présence de ressources exploitables, comme l’a expliqué Didier Ortolland, sous-directeur du droit de la mer, droit fluvial et des pôles, au Ministère des Affaires étrangères et européennes. La France a aujourd’hui des vues divergentes avec l’Espagne et l’Italie sur la délimitation de leurs zones maritimes respectives. Le Maroc et l’Espagne ont quant à eux des divergences sur un ensemble d’îles au large du Maroc tandis que l’Algérie a récemment rendu publique de nouvelles prétentions.
La professeure Kiara Neri présentait ensuite la situation du détroit de Gibraltar au cœur d’un imbroglio eu égard au statut particulier du « Rocher » au sein du Royaume-Uni, et surtout à la sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union européenne. Sans minorer l’importance de la question, la situation semble tout de même plus stable à l’ouest de la Méditerranée qu’à l’est.
Thierry Duchesne, adjoint au Préfet maritime de la Méditerranée présentait finalement les difficultés de gestion des activités sur les côtes françaises, notamment concernant les conflits d’usage. Leur résolution passe dans un premier temps et le plus souvent par leur prévention. Lorsque le conflit d’usage ne peut être évité, le préfet maritime garant de l’ordre en mer dispose ensuite de nombreux moyens pour résoudre le conflit.
Enfin, Louis Balmond, professeur à l’université de Toulon a clôturé cette journée en rappelant l’influence réciproque du droit et de la stratégie. Si la pratique des États contribue à la construction du droit international, le droit à également une place importante dans la mise en place de stratégies par les États.